

La cloche de Thiverny
et le buis géant

Il y a de cela près de 2000 ans, pour être plus précis dans une telle tranche de temps : au début de l’ère chrétienne.
Nos ancêtres habitant dans cette parte située vers le confluent entre Oyse et Thérain, et plus particulièrement dans cette partie où logeaient déjà dans les grottes naturelles, les premiers hommes ayant foulé notre terre, avaient entendu la parole du Christ de la bouche des premiers apôtres parcourant la Gaule. Il est à remarquer que mille années plus tard, un grand prédicateur, Pierre l’Ermite, y vint soulever l’enthousiasme des chrétiens et les exhorter à partir en terre sainte pour tirer des mains des infidèles le tombeau du Christ. Son cri de guerre était « Dieu le veut ».
C’est dire que la région fut en quelque sorte sanctifiée dès l’origine.
Dans ces conditions pourquoi ne pas admettre la véracité des légendes qui prirent naissance à cette époque perdue dans la nuit des temps.
Pourquoi en douter, puisque, d’ailleurs, notre histoire officielle écrite, enseignée, promulguée, apprise, transmise s’appuie sur les légendes de notre terroir.
Comment enfin rester sceptique quand une preuve tangible est encore là ; bien vivante, enracinée dans le sol, comme la légende elle-même.
En un temps reculé donc, le vendredi saint arrivé, les cloches de nos églises s’envolaient vers les trois heures de relevée, prenaient la route du ciel, se rendaient à Rome, se faisaient bénir par le saint-père, vicaire du Christ, et revenaient en hâte retrouver leur clocher bien heureuse de cette petite sortie quelque-peu clandestine et qui leur permettait chaque année de voir du pays, de respirer de leurs énormes gueules, à plein ciel. Je vous laisse à penser si les nuages étaient surpris de cette cohorte de bronze. Certains jeunes se laissaient périr de saisissement, ce qui explique (en partie du moins) qu’il pleuve souvent le vendredi saint. Le samedi, à midi, réintégrant dare-dare les coussinets de leurs « balancelles » elles étaient prêtres à annoncer la fin du jeûne pascal.
La modeste clochette de l’église primitive de Thiverny ne manquait pas le traditionnel voyage à Rome. Fort agitée dès l’approche de la saison des fêtes, elle ne pensait plus qu’à cela. Elle sonnait d’un air absent, rêvant de cette traversée dans les airs ; si bien que le jour des Rameaux, son vieux sonneur de clerc laïc, empruntant péniblement une échelle, monta dans le clocher et vint lui faire d’amers reproches au sujet de sa distraction. Or comme c’était après messe, le « sonneux » portait à sa main un rameau de buis bénit. Il en donna quelques coups amicaux sur le rebord de la robe d’étain et s’en fut.
Si bien que lorsqu’elle partit pour Rome, sans le savoir, la clochette de Thiverny emporta une minuscule brindille de bios accrochée à elle, après la chiquenaude du sonneur. Le saint-Père, bénissant la cloche de Thiverny, avec ses sœurs, bénit aussi le buis... qui revint, doublement sanctifié, dans la bourgade de Thiverny.
Le hasard voulut que dans son mouvement de « décélération » comme diraient nos modernes ingénieurs) au moment de regagner son clocher, comme un pigeon son colombier, la cloche laisse tomber le rameau saint qui se ficha, avec une précision dénotant bien son caractère sacré, juste au ras de l’entrée du porche, à droite en entrant, précisons-nous.
Si vous êtes incrédules, allez à Thiverny. Montez le raidillon menant à l’église. A droite de la porte d’entrée vous verrez un vieux buis énorme, titanesque, arborescent, dont le tronc noueux à la forme d’une colonne torse de la grosseur d’une cuisse d’homme.
L’auteur de ces lignes a grimpé (l’« impie ») dans cet arbre au temps de sa folle jeunesse, ignorant qu’il gravissait un arbre sacré
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10 avril 1963
In Le Parisien Libéré – Edition de Compiègne
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